Un puits de carbone dans ma maison ?

Flux & énergie. Bois. Changement climatique.

Alexia Schneider,

Si vous vous intéressez au climat, vous avez probablement déjà entendu le terme de « puits de carbone » ou encore d’« émissions négatives ». Si ce concept a toute sa valeur dans le cas d’une forêt, c’est loin d’être aussi simple dans la construction. Pourquoi ? Nous allons voir cela de suite.

Photo d’une forêt de mélèzes traversée par un ruisseau de montagne
Les écosystèmes forestiers sont d’incroyables puits de carbone. Ⓒ Physalide

Un puits de carbone, c’est quoi ?

Il s’agit d’un « Système naturel ou artificiel permettant de capter et de stocker une quantité significative de dioxyde de carbone (CO2), de manière à en limiter la concentration dans l'atmosphère. » 1 « En stabilisant la quantité de CO2 atmosphérique, les puits de carbone influent sur le climat planétaire, et donc sur toutes les composantes de l'environnement qui en dépendent. » 2

C’est un phénomène que l’on observe notamment en forêt : les arbres font de la photosynthèse et fixent le carbone pour grandir. Augmenter la surface des forêts est donc une stratégie envisagée pour « retirer » l’excédent de CO2 de l’atmosphère, dans le but de mitiger le dérèglement climatique. Jusque-là, ça se tient. Reste à calculer combien d’hectares de forêt il faudrait planter pour absorber suffisamment de CO2, mais ceci est un autre débat.

Tableau de valeurs avec différentes essences d’arbre et le CO2 stocké
Tableau 1 : La quantité de CO2 stockée dépend des essences. 3

Le stockage du carbone dans le bâtiment

Dans le cadre des bilans carbone pour le bâtiment, d’aucuns se sont dit qu’il fallait considérer l’effet de puits carbone dans les calculs incluant le bois comme matériau de construction. Au lieu de comptabiliser uniquement les émissions de CO2 liées à la coupe du bois, son transport, sa transformation et sa mise en œuvre dans le bâtiment, on s’est mis à prendre en compte la quantité de CO2 stockée dans le bois au cours de sa croissance.

Emissions de CO2 – Quantité de CO2 stockée = Emissions totales

Dans le cas de produits peu transformés (bois brut, bois de charpente, etc.), le résultat est généralement négatif. Cela pourrait sous-entendre que l’on pourrait construire en bois tout ce qu’on veut, cela ne nuira pas à la planète, au contraire, ça permet de stocker du carbone !

Tableau avec des valeurs d’émission de CO2 selon les dérivés du bois
Tableau 2 : La quantité de CO2 émise dépend, entre autres, de sa transformation. 4

Pas si vite ! En effet, le bois coupé et utilisé en construction est un stock de carbone fixe, tandis que s’il avait été laissé sur pied, il continuerait de capturer du CO2. De plus, utiliser du bois dans la construction ne fait que déplacer sur un chantier un stock de carbone qui était auparavant dans la forêt, duquel on déduit les émissions liées à la coupe, au transport, à la transformation, etc. Donc par rapport à laisser la forêt tranquille, construire en bois émet du CO2 et n’en stocke pas, contrairement à ce qu’on aurait pu croire au vu des « émissions négatives » annoncées.

Charpente en bois et sous-face en planches non équarries
Charpente en bois @ Physalide

Là où l’on peut commencer à prendre en compte le phénomène de « puits de carbone » dans la construction, c’est lorsque ladite forêt est gérée de manière responsable. En effet, si l’on replante un arbre après la coupe d’un précédent, le stock de carbone continue donc de grandir. Il est donc important de s’assurer de la provenance du bois et de privilégier les labels certifiant une gestion durable des forêts.

Une question de révolution

Si vous m’avez suivie jusque-là, vous noterez peut-être qu’il manque une dernière étape pour vraiment s’assurer que le phénomène de puits carbone est valable dans notre cas particulier. En effet, le cycle de croissance d’un arbre jusqu’à son exploitation, qu’on appelle « révolution », varie selon les essences de bois mais également selon les critères d’économie et de productivité (on a en effet tendance, ces dernières années, à réduire les révolutions par rapport au cycle « naturel » pour augmenter la productivité de la forêt, au détriment de la biodiversité). De ce fait, afin que notre bois de construction soit climatiquement neutre, il faut qu’il reste dans le bâtiment au moins le temps d’une révolution, afin qu’il soit définitivement remplacé, en termes de stock de CO2, par son successeur dans la forêt.

Par exemple, l’agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) considère l’effet de puits carbone uniquement dans les éléments en bois inclus dans des objets qui dureront au moins un siècle.5

Tableau avec la durée de vie de certains éléments de construction en bois
Tableau 3 : La durée de vie des éléments de construction bois dans le bâtiment. 6

Concrètement, pour permettre à nos éléments en bois d’atteindre l’objectif d’une révolution, plusieurs stratégies se présentent à nous :

  • - Retarder le remplacement des éléments en bois par un entretien régulier non destructeur
  • - Utiliser des essences à révolution plus courtes, adaptées à la durée de vie de l’élément pour lequel elles sont employées (cf. Tableau 3)
  • - Prolonger le cycle de vie du bois en le réemployant ou en le recyclant (ou le sous-cyclant, « downcycling » en anglais) pour retarder son incinération et donc la libération de son stock de carbone dans l’atmosphère.

Vous l’aurez compris, utiliser des fibres vierges de bois pour en faire des palettes jetables n’est donc pas neutre en carbone, et encore moins à « émissions négatives » lorsqu’on considère l’entier du cycle de vie !

L’intérêt des autres biosourcés

Paille
Couverture en paille @ Robert Nordahl on Unsplash

L’effet « puits carbone » du bois dans la construction est donc loin d’être systématique, notamment de par sa longue période de révolution. Pour certains usages, l’isolation par exemple, des matériaux comme la paille ou le chanvre permettent de très rapidement bénéficier de l’effet « puits de carbone » car leur cycle de révolution est très court (une année).

La prochaine fois que vous entendrez « le bois, c’est climatiquement neutre », vous vous souviendrez que… « oui, mais… ! ».